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Lourdes et la SNCF, entre rencontre et encontrement : quelques éléments d'une relation tumultueuse




C'est dans le cadre d'une ethnographie des trains de nuit « La Palombe Bleue », désormais plus sobrement nommés Intercités de nuit 4052/4053, que la singularité des relations entre la ville de Lourdes, avec son épicentre touristique que représente le sanctuaire marial, et les trains de nuit, est apparue centrale. En quoi le cas lourdais questionne-t-il davantage la politique de démantèlement des trains de nuit que partout ailleurs ? Alors que la ville de Lourdes voit son nombre de touristes nationaux et internationaux décliner fortement depuis deux ans, le tourisme lourdais peine à se renouveler. En quoi la mise à mort actuelle des trains de nuit met-elle en péril toute tentative de réinvention du secteur touristique ?


Avec son deuxième parc hôtelier national (après Paris), ses 3 à 4 millions de touristes annuels en 2016 (alors qu'ils étaient encore 5 à 6 millions jusqu'en 2015) représentant environ soixante-dix nationalités différentes, la première ville d'envoi de courrier postal en 2013 et toujours la troisième ville de triage postal français, éprouve pourtant bien des difficultés à résorber la crise du tourisme religieux en France. C'est ce dont témoigne la dernière trouvaille des autorités du Sanctuaire : inviter les couples à renouveler leur engagement et prier ensemble pour la Saint Valentin 2016. Les religieux tentent ainsi, à l'instar de la municipalité, de remédier à ce désamour progressif, lié au vieillissement des pèlerins face au désintérêt des nouvelles générations, à la crise économique, peut-être aussi aux attentats qui ont quelque peu affecté le tourisme français.
Au-delà des raisons évoquées par les différents acteurs du tourisme lourdais, une est tue et pourtant, elle paraît toute aussi importante : il s'agit du démantèlement des trains de nuit et de la baisse de la circulation des Intercités jusqu'à Lourdes. Ils sont remplacés par des TGV, dont les prix sont actuellement en baisse via des campagnes de casse des tarifs pour assurer leur remplissage, afin de justifier d'une part le martèlement de la technologie LVG (ligne à grande vitesse) par le gouvernement français et d'autre part les suppressions des Intercités, de manière progressive pour les Intercités de nuit depuis des années et les Intercités de jour de manière massive dès 2018. Pourtant, la qualité de service et de confort proposés ne sont pas du tout les mêmes. Les temps de trajet sont toujours plus longs assis que couchés, surtout lorsqu'il est impossible de dormir. De même, lors de tout voyage à bord des trains La Palombe Bleue, il est possible de constater l'importance des pèlerins autant dans les compartiments couchettes que sur les sièges inclinables, tout le long du voyage.


Comment comprendre alors le silence assourdissant qui entoure ces fatales suppressions, dans un contexte de délitement du tourisme spirituel ? Même les agents des Offices du tourisme départemental avouent leur méconnaissance du sujet : "nous informons toute suppression de train ou changement d'horaire, mais je n'ai jamais rien entendu ou lu en interne sur les suppressions d'Intercités de nuit dans le département. Je ne savais pas que La Palombe Bleue était menacée", assène étonnée, une employée. Comment entendre cette politique qui s'inscrit à contre-courant des engagements de la si récente COP21 accueillie à Paris et du renouveau européen des trains dans le cadre de politiques de transport durables, comme en Autriche par exemple ou en Suède ? Pourquoi le confort des passagers dans ce moyen de transport optimal que représente le train de nuit, entre impératif de rentabilité économique, de mobilité écologique et de confort de déplacement, est-il sacrifié au profit de trains certes plus rapides mais où il est impossible de dormir (les sièges TGV étant plus larges et douillets, mais non rabattables ; qui arrive à dormir plusieurs heures assis ?) ? Où les trajets ne sont pas raccourcis, puisque le TGV circule de nuit à des vitesses plus lentes pour le confort des passagers et parce qu'il emprunte des voies non équipées de LGV ? Et puis, combien même, il s'agirait de voies LGV, n'a-t-on pas le droit de dormir, pendant les trajets nocturnes, lorsqu'il faut travailler ou assurer le bon déroulement de la journée suivante à l'arrivée ?


Deux textes récents évocateurs des politiques de transport actuelles

Pour comprendre le positionnement français, deux rapports, parmi les kyrielles disponibles, sont passés en revue. Il s'agit d'une part du dernier rapport d'activité d'Atout France, l'agence de développement touristique de la France, disponible en ligne soit celui de 2015. La question est rapidement tranchée par celui-ci qui n'évoque absolument pas le train, misant exclusivement sur le transport aérien. Pourtant, le train est cité par la plupart des acteurs du développement durable comme le moyen le moins énergivore*, autant par rapport à la voiture individuelle qu'à d'autres moyens de transport collectifs tels que l'avion en particulier ou l'autocar. De fait, de nombreuses études tendent à démontrer que le train est à favoriser pour les connexions entre pays limitrophes, pour des raisons économiques aussi bien qu'écologiques que de confort des passagers. Si les pèlerins italiens étaient tout de suite repérés dans les trains de nuit, autant par leurs chants nocturnes dans les voitures que par leurs drapeaux, il est tout aussi criant leur disparition progressive du Sanctuaire et, surtout, des trains allant jusqu'à Lourdes.

[*quelques exemples :
ADEME, Optimiser ses déplacements, pp14-15. Guide en ligne
ADEME, Comparateur éco-déplacements. Document interactif en ligne. Attention cependant car ici sont comparés les émissions de CO 2 et la consommation de pétrole ; le nucléaire n'étant pas pris en compte, le bilan énergétique du TGV sous-évalué par rapport aux autres trains, moins énergivores que lui en nucléaire ; ou encore les commentaires de l'ADEME sur la loi Grenelle 2, dite ENE (Engagement pour l'environnement) et les émissions de CO 2, qui comporte le même problème que le document précédent, c'est-à-dire aucune mention du nucléaire.]



D'autre part, le rapport Malvy, rendu le mois dernier, soit en mars 2017, intitulé « 54 suggestions pour améliorer la fréquentation touristique de la France à partir de nos patrimoines », favorise également le transport aérien, partant du constat de sa forte augmentation et de son importance dans les pratiques de mobilité. Ainsi, si l'auteur reconnaît l'importance du transport en général pour la valorisation du patrimoine touristique français, en particulier du transport ferroviaire (p. 2, 4), il énonce immédiatement les limites de ce dernier : "Si les villes sont généralement bien desservies, demeure le problème d’accessibilité des territoires situés hors Grandes Lignes et du « dernier kilomètre ». La « chaîne interrompue » a été évoquée à plusieurs reprises lors des auditions menées dans le cadre de la mission." Il est regrettable de constater qu'un rapport aussi important pour l'activité économique et touristique du pays, puisqu'il s'agit d'une référence consultée par l'ensemble des acteurs du secteur, ne mentionne pas d'exemple plus précis ou les problèmes concrets rencontrés par les touristes pour que les agents ferroviaires puissent y remédier. Qu'entendre par ce champ lexical de la coupure ou de l'interruption au niveau national, si ce n'est la suppression des axes radiaux et transversaux entre les villes et pôles secondaires et tertiaires ? En se souvenant, ce dont ne fait pas mention le rapport, que les connexions internationales sont mises à mal par un arrêt des lignes françaises avant les frontières, désormais non desservies, comme c'est le cas pour la gare de Cerbères dans le Sud-est, qui n'est qu'un exemple malheureux parmi d'autres. La baisse de la fréquentation internationale de Lourdes, en particulier de touristes provenant de pays frontaliers se comprend alors aisément. Il en va de même pour les touristes nationaux.


Parallèlement, comment ne pas sourire quand le rapport mentionne (p. 3), après auditions de membres du service Gares & Connexions de la SNCF que cette dernière réalise « un important travail sur l’intermodalité, la documentation et la signalétique multilingue, afin de permettre aux visiteurs – français et étrangers – d’être bien accueillis et d’avoir toutes les informations en temps voulu », alors même qu'elle supprime les trains de nuit qui constituent pourtant un moyen de transport optimal entre les variables écologiques, économiques, de confort pour les passagers et de temps de déplacement (de nuit, 900km se font en 1h : une demi-heure pour s'endormir et une demi-heure pour se réveiller). De même, l'encart p. 5 dédié au rôle de la SNCF dans la promotion du patrimoine semble complètement déconnecté de la réalité, voire antagonique avec les pratiques de l'entreprise sur le terrain : « Le site voyages.sncf.com fait une part importante à la découverte des patrimoines dans les différentes destinations.
Présents sur 13 sites européens, voyages.sncf vend le 100% ferroviaire. A l’international, l’objectif est de vendre l’Europe en train auprès des marchés Indien, australien, asiatique et américain. Un axe important est de vendre la France de porte à porte. Le site est consulté par 10 à 12 millions de visiteurs uniques par mois. Les entrées sont « inspirationnelles », s’appuient sur l’art de vivre, l’événementiel, la convivialité, la gastronomie, la découverte. La part des patrimoines est extrêmement importante sur le site. 
Partenaire de différentes régions et offices de tourisme, voyages-sncf.com développe des propositions avec des offres promotionnelles sur certaines destinations, Bretagne, Bordeaux, Lyon… »
. Pourtant, comme le mentionne le rapport, le développement durable est une tendance mondiale, notamment promu par l’Assemblée générale des Nations Unies, faisant de cette année 2017 l'« Année internationale du tourisme durable pour le développement » (p. 6). Quand on sait que les Intercités, particulièrement de nuit, sont difficilement accessibles à la réservation en ligne et sont même invisibles dans les grilles de réservation au guichet -il faut être juste : ce fut le cas pendant quelques années, la tendance semble indiquer leur retour, bien que les sièges inclinables qui permettent une diversification de l'offre tarifaire et de confort à bord, la seule effective en réalité vu le faible écart entre 1ere et 2nde, sont invisibles en ligne. Il faudrait alors approfondir les données pour la fréquentation du Sanctuaire (ainsi que du reste du pays), pour vérifier les retombées réelles de cette politique de transport. Peut-être qu'effectivement il y a plus de touristes indiens, australiens, ou américains. Cela doit-il pour autant se faire au détriment des ressortissants d'autres pays, notamment plus proches ? En outre, cela ne dissimule pas la baisse du tourisme en France en général et dans le Sanctuaire en particulier, alors que le tourisme religieux connaît un regain dans le monde depuis plus de dix ans. Pourquoi la France ne bénéficie-t-elle pas de cette vague mondiale ? Quels sont ses atouts et ses faiblesses en la matière ? Comment l'insérer dans cette dynamique ?



Quelques préconisations ferroviaires


À défaut de répondre à toutes ces questions, le rapport Malvy souligne (p. 9) qu'il faut « développer des offres spécifiques de parcours vers les lieux de visite par la voie ferrée et par la route et faciliter l’accès par les transports en commun, les mobilités douces... les initiatives d’itinéraires sans recours à la voiture particulière », saluant "les expériences de « porte à porte » développées par la SNCF, et sa filiale Voyage-sncf, avec leurs partenaires". Il précise même un mécanisme : « Le Séminaire des territoires dédié au Tourisme fera chaque année remonter au Président de la Région et à la Direction Régionale de la SNCF, par l’entremise du Président du CRT, l’état des lieux en matière de communication, issu des commissions intercommunales. » Si cela semble effectivement une excellente idée, notamment pour supporter la SNCF dans ses missions de transport, pourquoi n'y a-t-il alors aucune mention de l'importance des Intercités et particulièrement des trains de nuit ? N'est-il alors question que de pointer ce qui fonctionne, les bonnes démarches, sans désigner précisément les points qui peuvent améliorer à la fois le transport, le développement durable et le tourisme, de peur de froisser un partenaire privilégié d'une entreprise nationale ? Pourtant, lorsque une lacune se rend visible, la pallier demeure le meilleur moyen de réaliser des progrès exponentiels et, pour les bailleurs et financiers des bénéfices, comme le fait ÖBB, la compagnie ferroviaire autrichienne et ce, depuis son premier mois de fonctionnement -cela laisse rêveur, n'est-ce pas ?
Quant au financement, la suggestion 32 du rapport Malvy stipule qu'une « une attention particulière devra être portée sur des projets d’un montant inférieur au seuil d’intervention des PIA (1 million d’euros), peut-être par l’intermédiaire de convention avec les régions sur le sujet.
Plus généralement, Atout France pourrait se faire le porteur ou le facilitateur de projets pour mobiliser les financements (French tech, PIA… etc) et créer des solutions communes. A cette fin, il devrait y associer de grands « parrains » (Fimalac, Free…) ainsi que les acteurs majeurs du secteur (BPI, CDC, Orange, Voyages sncf, Amadeus…) et les incubateurs du tourisme (WCL et équivalents en Région)»
. La rénovation de lignes Intercité se rapproche donc davantage des paliers financiers mentionnés par les auteurs que l'ouverture de grands chantiers LGV.
Si le document contient des idées intéressantes, son manque de perspective et d'engagement concret le place au rang des proclamations de bonnes intentions, alors que le secteur du tourisme enregistre une légère baisse et que, parallèlement, les institutions et organisations internationales relèvent régulièrement l'urgence d'une transition énergétique.


Si l'on ne peut que noter la pénalisation du tourisme lourdais par le désamour des touristes qui désinvestissent la sphère spirituelle, alors l'encontrement du train de nuit n'en paraît que plus dramatique, quand Lourdes essaie de vaincre son destin. Alors, la cocasse Saint-Valentin 2016 prend des atours tragiques : si le renouvellement des vœux amoureux des couples le 14 février pouvait prêter à sourire, alors même qu'il succédait à un énième incident sur la route ferroviaire, il fait désormais pleurer car même les derniers pèlerins n'auront plus les moyens matériels de leur périple.



Quelques sources


Collectif Oui au train de nuit, en ligne : https://ouiautraindenuit.files.wordpress.com/
Collectif Oui au train de nuit, « Remettre les trains de nuit sur les rails pour une transition écologique dans les transports
Enquête sur les dysfonctionnements et le potentiel du train de nuit », en ligne : https://ouiautraindenuit.files.wordpress.com/2017/01/2017-04-09-l-enquete-oui-au-train-de-nuit.pdf
Office du tourisme de Lourdes (chiffres touristiques octroyés généreusement par téléphone)
Atout France, Rapport d'activité 2015, en ligne : https://asp.zone-secure.net/v2/index.jsp?id=2821/3658/65354&lng=fr
Direction générale de l'économie, en ligne : veilleinfotourisme.fr
La Banque Postale (informations courrier généreusement octroyées par téléphone)



Quelques pistes à creuser (notamment sur la politique de "Tout TGV" de la France)


http://www.journaldelenvironnement.net/article/l-ademe-et-alstom-imaginent-le-tgv-du-futur,66390
http://www.usinenouvelle.com/article/l-ademe-et-alstom-lancent-leur-coentreprise-pour-developper-le-tgv-du-futur.N370220
http://www.liberation.fr/futurs/2016/09/07/le-tgv-du-futur-en-cinq-chiffres-cles_1488646
http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/l-etat-presse-le-pas-pour-lancer-le-tgv-du-futur-871696.html (quand BFM est le média qui fait davantage preuve d'esprit critique...)

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